1,3 milliards d’euros: c’est le chiffre d’affaires réalisé par le vrac, tous circuits confondus en 2020. Un chiffre en croissance malgré la crise sanitaire lié à la hausse de la demande des clients mais également à l’expansion du parc de magasins (bios ou généralistes) proposant ce service ainsi qu’à l’élargissement de l’offre qui ne se cantonne plus aux céréales et produits secs d’épicerie. Mues par le projet de loi Climat et Résilience, adopté par l’assemblée nationale et en cours d’examen par le Sénat, depuis quelques mois on ne compte plus les nombreuses initiatives des marques et des enseignes sur le vrac avec une approche test & learn pour le moment. En effet, le vrac pose un certain nombre de challenges et de contraintes que la grande consommation doit encore relever pour anticiper la potentielle mise en application des articles 11 et 12 du projet de loi d’ici 2025.
J’identifie au moins 7 challenges catégoriels et questions que pose le déploiement du vrac en grande consommation.
Projet de Loi Climat et Résilience_Titre 1er « Consommer » _ Chapitre III :
Article 11
L’action des pouvoirs publics tend à ce que, d’ici le 1er janvier 2030, 20 % de la surface de vente soient consacrés à la vente en vrac dans les commerces de vente dont la surface est supérieure à 400 m².
Article 12
Le II de l’article L. 541‑10‑11 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Dans les mêmes conditions, l’obligation de mise en place d’une consigne pour les emballages en verre, de manière à ce qu’ils soient lavables et réutilisables, pourra être généralisée. Cette généralisation ne peut entrer en vigueur avant le 1er janvier 2025. ».
L’assortiment vrac: quelle complémentarité avec l’offre emballée?
La première question à se poser concerne l’offre de produits à proposer en vrac. Doit-elle être complémentaire à celle des produits emballés ou substituable voire identique à celle proposée dans le rayon classique ?
En grande consommation alimentaire moderne, le vrac est réapparu dans les enseignes du circuit bio dans les années 80. L’offre s’est lentement développée dans des réseaux spécialisés et elle a gagné à partir des années 2000 les grandes surfaces alimentaires classiques. En 2019, Réseau Vrac recensait 88% du parc de magasins spécialisés bio et 70% des enseignes généralistes proposant une offre de vrac. L’assortiment s’est donc construit naturellement autour de produits d’épicerie sèche (céréales, féculents…) et majoritairement issus de l’agriculture biologique. Le premier argument mis en avant est celui d’une proposition d’offre plus écologique et responsable car elle limite la production d’emballages et donc de déchets. Néanmoins, si l’offre bio en vrac est intrinsèque au positionnement de ces circuits spécilialisés, en grands surface alimentaire généraliste, le levier déclencheur de l’achat en vrac semble être celui de la personnalisation ou plutôt de la « juste mesure ». Avec le vrac, le shopper peut choisir exactement la quantité en fonction de son besoin pour chaque produit.
Cette juste mesure recouvre à la fois une dimension de personnalisation, une maîtrise de la dépense et d’achat à même de couvrir ses besoins et donc la possibilité de limiter le gaspillage.
L’ILEC a déployé un test en partenariat avec des maques d’épiceries comme Kellogg’s, Bénénuts, Carambar, Carte Noire, Ebly, Panzani,etc… et l’enseigne Franprix entre fin 2020 et début 2021 dans trois points de ventes de l’Ile de France.
Une étude shopper avec Citeo a été menée en parallèle pour comprendre les leviers d’achat du vrac dans ces trois magasins : la possibilité d’acheter la juste dose ressort comme étant la première raison d’achat de produits en vrac devant la dimension écologique liée à l’absence d’emballage. C’est sous l’angle de la personnalisation et de l’adaptation à ses besoins individuels que le consommateur perçoit le vrac comme une offre porteuse de valeur. L’aspect écologique est plus sous-jacent.
Comment définir l’assortiment vrac?
C’est le profil des consommateurs sensibles à cette offre qui peut y répondre. En effet, il n’apparaît pas nécessaire et indispensable d’y déployer une offre clairement biologique et les offres plus positionnées sur le coeur de gamme y prennent tout leur sens dans une approche de maîtrise du panier d’achat.
Le fait de proposer une offre de produits identiques en termes de contenu mais différente en termes de contenant peut entraîner de la cannibalisation entre les propositions propositions dans une certaine mesure. Pourtant, ce problème demeure le même que dans le cadre de promotions ou le phénomène inverse s’observe : les promotions permettent de développer les quantités achetées ponctuellement mais elles peuvent générer de la cannibalisation sur l’offre de produit standard, voire un phénomène de stockage et donc de report des achats. Via le vrac, il est possible de développer la fréquence d’achat à défaut de développer les quantités achetées : les consommateurs qui peuvent moins stocker ont la possibilité de jauger leur quantité en fonction de leur place disponible ou de leur budget du moment. Ils peuvent revenir fréquemment pour réajuster leur stock de façon personnalisée et adaptée. Il y a moins d’arbitrage et de report d’achat si la quantité proposée ne satisfait pas le besoin du consommateur, comme c’est le cas pour les produits emballés. Le fait de pouvoir également limiter ses quantités facilite le panachage des offres : si un consommateur ne peut consommer qu’une certaine quantité de féculents par semaine, avec l’offre vrac il peut varier les types de produits et donc découvrir de nouvelles offres sans devoir se surstocker ou changer ses habitudes de consommation.
La fin de l’emballage signe t-elle la perte d’un levier de communication et de différenciation pour les marques?
Autre point soulevé cette fois-ci par les marques est celui de la perte d’un levier de communication clé : l’emballage. Il permet d’identifier un produit, de repérer l’offre au sein d’un rayon ou sur la page d’un site e-commerce. C’est un levier d’orientation et de sélection pour le shopper. L’emballage est également un support de communication en lien direct avec le consommateur maîtrisé par les marques en point de vente (et non pas par le distributeur quand il s’agit des marques nationales). S’il contient des composantes informatives telles que la composition des produits ou leur mode d’emploi, le packaging véhicule également le positionnement d’une marque, il contribue à l’attractivité du produit et donc à son achat. Certaines marques craignent la perte de ce levier de communication et un effet de «commoditisation » de l’offre produit à leurs dépens. Il est à noter que les consommateurs n’identifient pas le vrac comme une opportunité de se détacher d’une quelconque emprise d’un marketing qui les inciterait à choisir un produit plutôt qu’un autre voire à acheter un produit dont ils n’ont pas besoin. La libération du choix par rapport à un diktat des marques n’est pas un levier de motivation du vrac pour les clients.
De plus, certaines marques se différencient également quant au design de leurs produits ainsi qu’à leur qualité intrinsèque (gustatives, d’efficacité, de valeur nutritionnelle, de plaisir, de parfum, etc…)
Finalement le vrac « peut au contraire permettre à des marques dotées d’une forte légitimité quant à leur savoir-faire de renforcer leur relation au consommateur » comme le mentionne Benoit Heilbrunn dans sa tribune sur le site de l’ILEC.
Une fois l’offre définie, la deuxième étape reste l’implantation du vrac. Et là aussi se posent un certain nombre de challenges quant au merchandising de cette offre.
Merchandising du vrac: quel emplacement en magasin?
La première question qui se pose est l’emplacement pour implanter une offre de vrac. Est-ce qu’il faut un emplacement spécifique, une zone du magasin dédiée à l’ensemble de l’offre vrac ou vaut-il mieux implanter chaque produits vrac à proximité de sa catégorie de produits emballés (les féculents en vrac au sein du rayon féculent, les céréales au sein du rayon petit déjeuner…) ?
La réponse que j’apporterais est une approche « normande » : ça dépend. Un élément peut apporter néanmoins un éclairage et guider une enseigne et des fournisseurs : considérer les motivations du shopper pour identifier le meilleur emplacement propice au trafic adapté. Quels sont les leviers qui le poussent à acheter du vrac et est-ce qu’ils constituent sa première motivation ?
L’offre vrac s’est d’abord développée sur des catégories de produit d’épicerie comme les céréales, les féculents, les fruits et les légumes secs. Cette offre s’est implantée en circuit spécialisé biologique et en grande surface alimentaire généraliste dans un emplacement spécifique dédié au vrac, à proximité des fruits et légumes pour faciliter la gestion servicielle du vrac, c’est-à-dire la pesée grâce aux balances, l’usage de sachets de transports pour les produits en vrac. Les marques de grande consommation emballées étaient absentes et l’offre était couverte en marque blanche ou en marque spécifique bio. Avec l’accélération de l’offre bio en GSA, les magasins ont développé des univers spécifiques aux offres bio et y ont naturellement intégré des offres de vrac.
L’arrivée plus récente en GSA d’une offre en vrac par des marques de biens de consommation emballés ainsi que le déploiement sur d’autres catégories comme l’entretien ou l’hygiène beauté élargit le champ de l’offre vrac.
Si les shoppers sont habitués à trouver leur offre historique au sein d’un univers vrac et ou bio ils n’ont pas encore intégré la possibilité d’avoir des marques nationales proposant une alternative à leur offre emballée et les clients ne sont pas tous habitués à envisager le vrac sur certaines catégories.
Il y a donc une étape de recrutement et de communication qui doit d’abord être déployée. L’implantation de l’offre vrac sur ces nouvelles catégories peut donc avoir du sens dans l’univers catégoriel d’origine : un corner vrac d’hygiène peut prendre son sens pour informer les consommateurs du choix qu’ils ont entre de l’emballé et du vrac. Starwax a implanté son offre d’entretien vrac au sein d’un îlot à proximité des produits d’entretien ménager. Unilever a même intégré son offre de lessives Skip et d’adoucissant Cajoline dans le rayon soin du linge à côté des produits liquides emballés.
En fonction de l’évolution de l’offre et surtout du volume de consommation de ces offres en vrac, il est possible dans un deuxième temps d’envisager d’avoir un univers dédié au vrac au sein de chaque catégorie.
Repenser le trio merchandising, transport et stockage avec le vrac
Une fois l’emplacement déterminé, reste une autre problématique à traiter : celle du mobilier de stockage, de distribution voire de récupération des contenants. En effet, initialement la solution choisie pour stocker et distribuer les produits en vrac était celle du trémis. Néanmoins les produits comme les céréales, les fruits secs et autres féculents doivent être livrés en points de vente dans des contenants à même de faciliter le remplissage et le stockage de ces produits en réserve ou en surface de vente. Cela nécessite également de la manutention additionnelle par rapport à une offre emballée qui elle a été optimisée à la demande des distributeurs année après année avec des systèmes de prêt à vendre. Qu’en est-il également de certains contenus plus délicats ou plus difficiles à transporter et à stocker comme les produits liquides ? C’est toute une économie du contenant, du transport, du stockage et de la distribution ainsi que celle de la récupération qui entrent alors en jeu. Une réflexion doit donc être mise en place entre les marques, les distributeurs et des prestataires pour pouvoir faciliter le cycle de vie de ces produits, de leur livraison au magasin jusqu’à l’arrivée au domicile et à l’usage par le consommateur final. Les systèmes de consigne de bouteilles peuvent être une solution, mais comment le consommateur fera-t-il lorsqu’il aura une palanquée de bouteilles ou de bocaux à rapporter pour pouvoir prendre ses liquides qu’ils soient alimentaires ou d’entretien De nombreuses start-up se sont penchées sur la question à la fois sur les systèmes de distribution de stockage mais aussi sur le principe de consigne comme Jean Bouteille.
Carrefour s’est associé à la plateforme de shopping circulaire Loop et des marques nationales comme Maison Verte, Tropicana, Danone ou Coca Cola pour développer une solution de consigne disponible en magasin et sur son site e-commerce.
Un nouveau business model doit être trouvé pour fidéliser les shoppers facilement sans devenir une contrainte tout en limitant la manutention de ce service. Si la viabilité de ce modèle se questionne, son positionnement prix peut l’être tout autant.
Le juste prix pour la juste quantité grâce au vrac
Si le vrac est un service additionnel proposé aux shoppers, celui-ci inclut certains surcoûts qui ne sont pas toujours perçus par les consommateurs. En effet, les clients voient plutôt dans le vrac des économies faites par les marques ou les distributeurs qui proposent des produits avec moins d’emballage. Tout le mobilier ainsi que le système de stockage, de distribution et parfois de consignes amènent des surcoûts par rapport au modèle optimisé des produits emballés et de leur colis de prêts à vendre directement posés sur des mobiliers standardisés. Or le shopper choisit cette offre pour maîtriser son porte-monnaie et payer moins cher des produits sans emballage. Dès lors comment réintroduire et faire payer ce surcoût de modèle logistique ? Faut-il l’intégrer au prix des produits vendus en vrac ? Est-ce que les enseignes peuvent décider le répercuter dans leurs accords via les systèmes de contreparties avec les marques qui choisiront de proposer une offre de vrac ? Y a-t-il un système de péréquation de marge avec les offres emballées envisageable? C’est donc un juste équilibre que les enseignes et les marques doivent trouver pour pouvoir à la fois garantir une offre prix attractive et un business model viable.
Promotion et vrac: ces 2 termes sont-ils antinomiques?
La question de la promotion sur le vrac peut également être soulevée. Effectiement, le vrac promeut la juste quantité et non le surplus et le stockage ce qui est traditionnellement l’apanage des leviers promotionnels qui ont pour objectif la plupart du temps de développer les quantités achetées par acheteur ou du moins de les stocker. Néanmoins, il est possible de mettre en place l’activation promotionnelle sur le vrac pour faire tester le service. La promotion peut permettre de recruter de nouveaux consommateurs sur certaines catégories de produits ou sur le service en lui-même, pour les inciter à revenir rapporter leurs contenants en offrant des contenants personnalisés. Le panachage le produits offert avec une remise peut également générer les essais auprès des consommateurs. les animations peuvent également être envisagées pour répondre aux questionnements de certains consommateurs quant à l’hygiène, à l’image prix ainsi qu’au contenu et à la qualité des produits. Le levier promotionnel est donc dans ce cas plus utilisé pour le recrutement et la pédagogie que pour le développement des volumes à un instant T.
Par exemple, la marque Fava de protections hygiéniques féminines a mis en place un plan d’animation de son offre de vrac chez Monoprix. Les animatrices sont chargées de faire connaître la marque et d’expliquer le principe du vrac sur ce type de produits. Pour tout achat d’une certaine quantité de tampons ou de serviettes hygiéniques, les shoppers peuvent repartir avec une boîte décorée pour faciliter le rangement et le stockage des produits à leur domicile.
Le vrac ne fait donc pas encore l’unanimité auprès des distributeurs et des marques par le nombre d’enjeux, de questionnements et de contraintes qu’il génère. Il ne doit pas être considéré comme une alternative ou une cannibalisation des produits emballés mais comme un service complémentaire. C’est sur la sélection de l’offre pertinente (même si quasiment tous les produits peuvent être vendus en vrac, l’attente consommateur n’est peut-être pas au RDV) et surtout sur le déploiement d’un modèle logistique viable et efficace que les enseignes et les marques doivent ensemble se pencher avec l’aide de prestataires de solutions logistiques et servicielles innovantes.
Si le vrac est un levier d’action possible, d’autres actions peuvent être envisagées pour engager le category management dans la voie du développement durable.
Sources:
Ils l’ont dit aux ateliers du vrac, Frédéric Carluer-Lossouarn, 10 juin 2021, Linéaires.
L’Observatoire 2020 des rayons vrac, 3ème Edition, Editions Dauvers
Un modèle à inventer, Editorial de Richard Panquiault, 23 juin 2021, ILEC
Bonjour Claire
Votre article est vraiment très intéressant, juste une chose vous commencez en donnant le CA du vrac, ce n’est pas 1,2 millions mais milliards.
Bonne journée
Merci Jérôme, aussitôt mentionnée, coquille aussitôt modifiée.