Le social commerce: l’accélération nécessaire de la la grande distribution pour éviter la seconde ubérisation

Les distributeurs ont vécu dans les années 2000 leur première « uberisation »  avec l’émergence des marketplaces, des e-commerçants et la prise du pouvoir des consommateurs via leur smartphone. Une seconde vague est apparue  depuis 2018 en France et devrait prendre un réel essor en 2021 : le social commerce.

31% des Français ont déjà réalisé un achat sur un réseau social en 2020 (dont 38% des 18-34 ans) d’après l’étude omnibus de Yougov.

Ce phénomène n’est donc ni anedoctique ni restreint à la génération Z. Le social commerce pourrait donc devenir une nouvelle vague d’uberisation de la distribution en grande consommation.

uberisation de la grande distribution
modèle du social commerce de Marie Dollé

Que recouvre le social commerce?

Le social commerce peut se résumer par le fait de commercialiser des produits directement via les plateformes de réseaux sociaux, que ce soit par le biais de publications de contenus, visuels, vidéos, textuels… (d’après Bestoolbar)

Ce Phénomène regroupe 2 types d’acteurs comme le montre le schéma de Marie Dollé.

Les plateformes sociales « traditionnelles » se sont équipées en options shopping. Elles  ont développé des partenariats avec des plateformes de e-commerce comme TikTok avec Shopify. En 2020, Instagram qui comptait plus de 21 millions de compte actifs en France (source Statista) a étendu sa fonctionnalité shopping à l’IGTV et à Reels (concurrent direct de TikTok). Depuis septembre 2020, TikTok teste la fonction shopping en version beta dans les vidéos publicitaires. Même Pinterest qui se définissait encore comme un moteur de recherche de visuels et d’inspirations en 2019 a lancé des fonctionnalités shopping d’abords aux Etats-Unis puis en France sur ses « pin’s » (épingles), ses boards ou directement via le moteur de recherche. Youtube a également lancé un type de format publicitaire spécifique aux produits…

Le deuxième type de plateformes sont les acteurs « social by design » qui regroupent un écosystème de start-up proposant des services d’accompagnement pour rendre plus « social » le shopping online. Ainsi les plateformes de live streaming shopping comme Caast.TV ou Quidol en font partie tout comme les applications de prise de RDV avec un « personal shopper » ou  un« expert ».

Ces nouvelles formes de commerce viennent concurrencer la grande distribution sur leur rôle d’intermédiaire entre les marques et les consommateurs.

Les marques de grande consommation ont déjà pris le virage du social commerce

La fermeture de nombreuses enseignes en France pendant le premier confinement de 2020 ainsi que la limitation des interactions en magasin ont poussé certaines marques de grande consommation à utiliser le social commerce comme une source de canal relationnel et transactionnel. Ce phénomène était déjà à l’œuvre depuis quelques années en Asie.

Un autre phénomène a aussi « poussé » les marques de grande consommation à travailler leur stratégie de social commerce : les DNVB (digital native vertical brands) dont la stratégie est fondamentalement ancrée sur les réseaux sociaux.  C’est le cas par exemple de marques de cosmétiques comme Melayci via son compte Instagram, véritable canal complémentaire à son site e-commerce pour relayer son contenu produits, ses promotions et ses vidéos démo. La marque d’entretien Les Petits Bidons y a également développé sa « vitrine shop ».

Avec les règles de distanciation les opportunités de tests des produits en magasin et d’interactions avec des conseillers ou vendeurs sont devenues plus limitées.

Des marques ont donc vu l’opportunité de mettre en place la visibilité de leur catalogue produits sur les réseaux sociaux et plus uniquement via leur site internet, via les marketplaces ou via les magasins. Certaines marques comme Pampers sont même très directes dans leur communication sur Instagram pour inciter les consommateurs à acheter via ce canal.

social commerce Gillette sur Instagram
Vitrine shop Gillette USA
fiche produit L'Oréal sur Instagram
fiche produit L'Oréal France Instragram
livraison Pampers via Pinterest
Pin Pampers service de livraison à domicile via DTC

Les plateformes sociales, nouvel intermédiaire de commercialisation

Le social commerce est une opportunité pour les marques de grande consommation de mêler relation conversationnelle (voire évènementiel) et relation transactionnelle avec son consommateur.: le terme « retailtainment » c’est à dire le fait de mêler une expérience ludique, distrayante à celle de l’achat transactionnel, reprend tout son sens. Les frontières entre divertissement et courses deviennent plus flous. Les marques peuvent garder la maîtrise de leur commercialisation (exposition et présentation du produit, remise, prix…) et de leur communication.

Les plateformes sociales se transforment progressivement en nouvel intermédiaire comme les magasins ou les e-commerçants en valorisant l’expérience, la relation, l’interactivité, atouts qu’elles ont su développer aux dépens des autres distributeurs.

Enquête Yougov social commerce France 2020

Joe Beier de GFK identifie encore deux freins pour son expansion massive aux Etats Unis et en Europe avant d’atteindre le même niveau qu’en Asie:

  • Le manque de confiance: encore 86% des Français sont méfiants à vis à vis des publicités ou des placements produits sur les réseaux sociaux d’après l’enquête Yougov 2020. Cette appréhension commune à toute nouvelle modalité de transaction devrait être levée progressivement de manière naturelle.
  • Le sentiment d’inconfort face à la somme importante de publicités sur les plateformes sociales. 

Le social commerce peut donc constituer une nouvelle forme d’ubérisation de la distribution classique, il peut également devenir également un outil complémentaire aux magasins, drives et marketplaces des distributeurs de grandes consommation.

 

Une réaction encore limitée des enseignes françaises sur le social commerce

En 2020 les enseignes comme Carrefour ou Leroy Merlin (suivi en janvier 2021 par Leclerc) on lancé leur marketplace en vue notamment de concurrencer Amazon. Ces marketplaces sont en cours de déploiement via l’aide de start-up comme MirakL. Leur offre produits est en cours de constitution tout comme leur positionnement vis-à-vis des drives et des points de vente.

Les enseignes alimentaires ont mis du temps avant de percevoir Amazon et les e-commerçants pure players comme de sérieux concurrents. Elles ont investi tardivement dans les canaux de commercialisation on-line. Même si de nombreux drives ont vu le jour à partir de 2004, ils ont été perçus comme un vrai circuit de commercialisation stratégiques à partir de 2020 et le premier confinement de la crise du Coronavirus. Les enseignes ont renforcé leur pilier drive, véritable point de force qui allie le confort de la commande à domicile et un délai de récupération de la commande qui peut être très court (dans la journée ou les 24H parfois).

Néanmoins ces canaux digitaux que sont la marketplace et le drive ont favorisé uniquement le relationnel transactionnel.

Les enseignes, ainsi que les marques de grande consommation doivent donc dès aujourd’hui réagir face à l’émergence du social commerce pour ne pas être prises de cours et en faire une opportunité relationnelle et transactionnelle additionnelle avec leurs consommateurs.

Il suffit pour se faire d’observer comment les distributeurs investissent encore timidement deux canaux du social commerce alors que certaines marques les ont vraiment intégrés avec succès dans leur stratégie : TikTok et le Live Streaming Shopping.

Des tests de live streaming shopping prometteurs à déployer de façon plus stratégique en 2021

En mai 2020, les Galeries Lafayettes suivies ensuite en septembre et octobre par la Fnac et Leroy Merlin, ont déployé un évènement de live streaming shopping.

Ainsi, Leroy Merlin a organisé avec l’aide de la start-up française Caast TV une séance de live streaming shopping sur les produits de la marque AEG. Des résultats très encourageants puisque les ventes ont été multipliées par 3le jour du live sur la gamme de produits et par 2 dans les 15 jours qui ont suivi l’évènement.

Carrefour a lancé également son premier live streaming sur les jouets à Noël. Un deuxième évènement de live streaming a été testé en janvier 2021 sur la puériculture avec des résultats mitigés pour un certain nombre de raisons.

En janvier a lieu le temps fort promotionnel de la puériculture qui est très lourd pour le chiffre d’affaires des marques de puéricultures, des changes pour bébé, aux produits alimentaires en passant par le textile et l’équipement. La cible familiale avec un bébé est stratégique pour Carrefour car les jeunes parents ont souvent un panier d’achat largement supérieur à la moyenne des clients. Le budget annuel moyen pour un bébé peut dépasser 2000€ (source Xerfi 2020). Sur ce type d’univers Carrefour est en concurrence avec les enseignes spécialisées mais également avec le e-commerce pure-player qui pèse lourd.

Le live streaming prend tout son sens sur ce type de catégorie où les consommateurs sont preneurs de conseils, de démonstrations produits et ont beaucoup de questions voire d’appréhensions lors de leurs achats.

live streaming puériculture Carrefour
annonce du live streaming puériculture de Carrefour sur son site

Malheureusement l’évènement avait été peu annoncé : pas d’information sur le site drive des magasins, ni en point de vente, ni dans le catalogue puériculture. Le live streaming a été annoncé uniquement via Facebook et une vidéo postée sur le site de Carrefour dans l’onglet « bébé ». L’événement a été reporté le jour même au lendemain ce qui a généré beaucoup de questions et de mécontentement. Aucun replay n’a été mis en place et le contenu n’a donc pas été exploité par la suite sur leurs sites ou leurs réseaux sociaux.

Ce qui aurait pu être un événement source de chiffres d’affaires, de développement de contenu et de passerelle entre le site de Carrefour, les magasins et les drives, a eu une portée très limitée et éphémère.

Néanmoins, ce type d’évènement doit pouvoir se réitérer s’il est inscrit dans une véritable stratégie catégorielle omnicanale (comme définie dans un précédent article avec l’opération du Blanc). L’opération beauté du printemps 2021 pourrait être une véritable opportunité de réitérer l’essai avec succès étant donné la nature des catégories (le maquillage, les soins capillaires, l’hygiène corporelle…), la limitation encore présente des interactions en magasins et les marques de beauté qui seront capables d’accompagner l’enseigne dans ce type d’évènements. Ce serait en en effet l’opportunité de faire des démonstrations de produits, des séances de tuto en live, de partages d’expériences avec les égéries et les influenceurs beautés habitués de ces échanges. De nombreuses thématiques peuvent être envisagées pour couvrir une grande variété de cibles consommateurs et consommatrices.

TikTok, une plateforme à investir de façon adapté pour en faire un outil de social commerce

Cette plateforme sociale qui a connu une énorme succès en France lors du premier confinement, est encore peu utilisée par les distributeurs français.

 Intermarché a simplement dupliqué l’été 2020 sa campagne média publicitaire via les relais publicitaires du réseau social. L’enseigne n’est pas très active sur son compte

Système U a pour sa part bien exploité les codes de TikTok via le relai d’une communication sur développement durable sur les masques soutenues par des influenceurs Tiktokeurs connus de la génération Z.

Lidl France a relayé son opération spéciale avec son édition limitée de tennis aux couleurs de l’enseigne avec un bon taux d’engagement.

En Allemagne l’enseigne Edeka a su bien intégrer les codes créatifs de la plateforme en développant plus de 400 vidéos en 2020 et un taux d’engagement moyen de 4,6%.

social commerce et engagement moyen sur Tiktok
évènement de live streaming de Walmart sur Tiktok

L’enseigne qui a pleinement compris le fonctionnement de la plateforme est Walmart. Plus de 540 000 abonnés avec un taux d’engagement moyen de 8,2%. En 2020, l’enseigne a partagé plus de 130 vidéos créatives et ludiques mettant en scène son personnel sur des promotions, des instants ludiques… L’enseigne a même été la première a lancer une séance de live streaming shopping le 18 décembre 2020 sur la plateforme.

L’efficacité et le taux d’engagement moyen élevé viennent du respect des codes très particuliers de TikTok. L’enseigne ne duplique pas ses catalogues promotionnels, elles ne reposte pas simplement ses campagnes publicitaires. Elle crée du contenu avec les challenges populaires du moment, elle met à contribution son personnel ainsi que des influenceurs, elle utilise de la musique adapté ainsi que les différents filtres proposés. 

Les facteurs clés de succès d’une campagne de social commerce en grande consommation

Le social commerce constitue donc une opportunité pour les enseignes de créer du lien avec ses clients sur des temps forts ou des catégories de produits qui peuvent s’avérer riches en contenu : recettes de cuisine, origine des produits et traçabilité en alimentaire, gestes écologiques, astuces beauté, démonstrations produits…

Le social commerce peut devenir un canal de commercialisation complémentaire si les enseignes identifient les facteurs clés de succès :

  • Définir une stratégie évènementielle sur une catégorie entre l’ensemble des canaux de communication et de commercialisation. Le social commerce en est une partie mais n’ai pas un tout ou une fin en soi.
  • Identifier les indicateurs de succès (la conversion avant, pendant et après l’évènement sur l’ensemble des canaux de commercialisation…)
  • Adapter le contenu en fonction des cibles et des fonctionnements des plateformes sociales.
  • Communiquer en amont et en aval de l’évènement pour en faire un vraiment moment de « retailtainment » mêlant divertissement et commercialisation.
  • Crédibiliser le contenu : intégrer des consommateurs, des responsables de marques, des experts, des professionnels de la filière…

En conclusion, le social commerce est une opportunité pour les marques de reprendre la parole et de maîtriser le lien transactionnel via le conversationnel avec ses consommateurs.

C’est également une opportunité pour les distributeurs. Ils doivent rapidement l’intégrer dans leur stratégie de commercialisation et pas uniquement dans leur stratégie de communication.

Sources:

Tendances social media 2021, Le mutatis mutandis des marques, Marie Dollé, 2021

Social commerce in the West: where has the « social » gone?, Marie Dollé Newsletter Substack

Enquête omnibus Yougov 2020, les réseaux sociaux et la vente en plein essor, novembre 2020

De nouvelles manières d’acheter et de faire des découvertes sur Pinterest, annonce Pinterest avril 2020

3 reasons why Walmart is chasing TikTok, Daniel Abril, 28 août 2020, fortune.com

TikTok et marques: 3 exemples réussis, Clémence Hutinet, 3 août 2020, Visibrain.com

TikTok teste le bouton shopping dans ses vidéos publicitaires, Céline Pastezeur, 8 septembre 2020, airofmelty.fr

Le monde de la grande conso toqué de TikTok, 13 janvier 2021, la rédaction LSA

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *