En 2021, le marché du e-retail media a réalisé 640 millions d’euros en France, soit une croissance de plus de 42% par rapport à l’année précédente d’après l’Observatoire de l’e-pub. Alors que l’inflation met toujours plus de pression sur les marges de la grande distribution en 2022, le e-retail semble devenir une importante source de revenus profitables additionnels non négligeables. Qu’en est-il côté fournisseur ? Environ 1028 marques ont utilisé ce levier en PGC-FLS en 2021. Néanmoins, est-ce un vrai levier d’activation performant ou une contrepartie additionnelle croissante d’investissement imposée par les distributeurs dans le cadre des accords commerciaux ? Le e-retail media, s’il est intégré à une démarche catégorielle peut s’avérer être un levier d’action et une source d’insights très utile à destination des category managers.
Le e-retail media, de quoi se parle-t-on?
Le cœur de métier historique des enseignes alimentaires et spécialisées est la revente de marchandises. De par leur rôle, le trafic généré dans leurs magasins et la surface d’expression disponible, celles-ci ont vite compris l’intérêt de monétiser leur espace de vente. Les enseignes peuvent donc jouer le rôle de relai media à destination des marques qui peuvent influencer la conversion grâce à un point de contact additionnel proche de l’achat.
Au lieu de laisser le champ libre aux commerciaux des marques en charge de négocier en magasin des théâtralisations de promotions, des mises en lumières de nouveautés produits en rayon, par exemple, les enseignes (plutôt centralisées) comme Carrefour, Monoprix, Leroy Merlin, Castorama, etc… ont déployé un arsenal d’outils (affiche-chariot, abris chariot, stop rayon, stickers de sol, cache portique de sécurité) avec en contrepartie, l’engagement d’un déploiement national sur tout ou partie du parc de magasins et d’un maintien de ces outils de communication sur une période donnée. Des agences de retail media ont la charge de coordonner la mise en place de ces opérations souvent négociées dans le cadre de contreparties d’accords commerciaux annuels entre les distributeurs et les fournisseurs. Les marques ont également la possibilité d’acheter ces espaces et oces utils d’animation dans le cadre de lancement de nouveautés ou de plans d’activation, indépendamment des accords commerciaux.
En parallèle, Amazon en fait de même sur son terrain de jeux, le e-commerce, en monétisant un grand nombre de services de mises en avant comme l’achat de mots clés, les displays, les videos displays… Sa régie publicitaire, Amazon Advertising, monétise également la data qu’elle détient sur l’ensemble des clients de l’e-commerçant à destination des marques: elle peut fournir des données de trafic des pages produit jusqu’à la conversion, c’est à dire l’achat.
Avec l’essor des drive, de livraisons à domicile et des marketplaces, les enseignes ont rapidement identifié la possibilité de dupliquer ce modèle sur ces nouveaux « espaces de communication » que sont les sites. Le e-retail media s’est donc déployé dans les enseignes GSA et GSS. Il est aux sites ou aux applications des enseignes de distribution ce que le totem, le stop rayon ou le stickers de sol peuvent être aux hypermarchés et supermarchés : des supports de communication mis à disposition (le plus souvent commercialisé) des marques pour assurer leur visibilité sur les sites Internet dans le cadre d’un lancement de nouveauté , d’une promotion ou d’une campagne de communication de branding.
Si à l’origine les marques et les enseignes ont initié des campagnes de bannières, de cross merchandising et d’offres promotionnelles digitales sans forcément estimer la portée et l’efficacité de ces opérations, l’avènement du traitement de la data permet aujourd’hui d’analyser et d’optimiser la performance de ces actions.
L’éco-système du e-retail media complexe à appréhender par les category managers
C’est tout un éco-système qui est en train de se structurer progressivement voire de se plateformiser autour de ce marché très rentable du e-retail media. Les américains considèrent le e-retail media comme la troisième phase de la pubicité digitale (après le search et le social media). En France, les enseignes ont structuré leur offre en intégrant des solutions et des plateformes ou en faisant appel à des partenaires :
- Des prestataires technologiques de solutions de type « retail search » proche des mécaniques d’Amazon Ads (recherches par mot clé, display, video…) comme par exemple Criteo avec Carrefour ou Leroy Merlin, Google avec Monoprix.
- Les régies publicitaires comme High Co, Media Performance. Elles proposent des solutions de relais de campagnes en points de vente physiques et sur les sites Internet pour couvrir le parcours client omnicanal.
Carrefour a structuré l’ensemble de son offre retail media et des solutions techniques au sein de sa plateforme Carrefour Links. En partenariat avec Google depuis 2018 dans le cadre du plan de transformation digitale de Carrefour, l’enseigne fait aussi appel à Criteo pour le ciblage publicitaire et à LiveRamp pour le traitement de la data.
- Des agences de traitement de la data, d’analyses et de recommandations (d’assortiment, d’activation, d’optimisation e-merchandising…) : la start-up Bascule analyse les données et les comportements des consommateurs issues de son panel de sites e-commerce pour proposer des recommandations de e-category management (amélioration de référencement, contenu de fiches produits, arborescence…). Autre exemple, Le groupe Publicis Commerce en rachetant en mai 2022 la solution SAAS Profitero d’analyse des ventes et de la performance marketing renforce son expertise en matière d’analyses et de recommandations e-retail à destination des marques et des distributeurs.
- Des prestataires d’activations personnalisées ou « retail-tech » viennent s’ajouter à des agences de display et search, dites « Ad tech ». Par exemple, Luky Cart et ses mécaniques personnalisées de gaming sur les sites de drive. Une autre forme d’activation e-retail consiste à l’intégration d’outils de visibilité en amont de l’achat : la phase d’inspiration pour une recette, pour une inspiration de décoration, ou pour un projet spécifique impliquant. Ainsi, Jow permet de développer la visibilité des marques à partir de recettes de cuisine qui fournissent une liste de courses préétablie qui peut se déverser directement dans le compte d’un client de drive pour lui faciliter ses achats. Les marques partenaires peuvent développer leur visibilité et leurs recommandations sur ces recettes et leurs produits viennent s’ajouter dans le « e-panier » d’un client drive.
Parfois, ces outils de visibilité digitale sont considérées comme des contreparties contractuelles, ou budgets de coopération, dans le cadre des accords commerciaux annuels entre une marque et une enseigne. Avec l’essor du e-commerce, le boom et la structuration progressive de la data, le retail media, est devenu un outil de plus en plus prisé voire stratégique pour les marques et pour les enseignes.
Les 3 bénéfices du e-retail media pour le category manager
Avec le développement des offres de e-retail media et la structuration des intervenants, les category managers doivent pleinement s’approprier les logiques et leur fonctionnement. Le e-retail media peut apporter 3 avantages pour améliorer la performances de l’analyse d’une catégorie, pour développer des recommandations et pour déployer des plans d’activations.
1. Le ciblage des actions comme premier atout: mettre en place des opérations chirurgicales avec le e-retail media
Les actions de e-retail media peuvent être initiées en définissant précisément un type de consommateur ou de prospect: des acheteurs ou des non-acheteurs d’une marque, des petits ou des gros acheteurs d’un catégorie, des consommateurs qui achètent des produits complémentaires, etc… Par exemple, une marque de fil dentaire peut décider de s’adresser à ses clients actuels ou à ceux perdus, à des personnes susceptibles d’être intéressées car elles achètent une marque concurrente ou un produit complémentaire (du dentifrice, ou des brosses à dents) … La marque peut ainsi adapter sa mécanique en fonction de la cible puisque l’objectif peut ne pas être le même d’un type de consommateur à un autre (faire dépenser plus ou réachater, faire découvrir une nouveauté…). La marque peut ainsi limiter (ou du moins affiner) son budget d’investissement media et éviter de la surenchère inutile ou de l’investissement à perte ce qui peut parfois être le cas lorsqu’il n’est pas possible de discriminer sa cible (ce qui est souvent le cas en magasin où tous les clients ont accès à une promotion unique à un instant T). Le e-retail media permet donc au category manager de mieux adapter ses recommandations pour qu’elles soient plus efficaces et avec « un gaspillage » d’effort moindre de la communication.
2. Le nerf de la guerre pour le category manager: l’accès à de la data comportementale, deuxième bénéfice du e-retail media
Avec la fin des cookies tiers (repoussée une nouvelle fois par Google à 2023), la donnée issue du retail media devient donc précieuse. Le e-retail media permet un accès à une mine d’informations quant aux comportements des consommateurs. Ces données sont plus précises et plus puissantes que celle des panels historiques qui analyse des données d’achats en sorties caisse (ou à domicile pour un panel consommateur). La data fournie par les prestataires de e-retail media (qu’ils ne manquent pas de monétiser 😉) permet bien sûr d’analyser les achats des clients, mais également leur comportement de façon très large. Il est possible d’identifier :
- Les étapes avant la mise au panier d’un produit (y -a-t-il des comparaisons entre plusieurs fiches produits, quels sont les mots clés cherchés pour atteindre la page produit ou bien quelle est l’arborescence e-merchandising suivie).
- Le non-achat : est-ce qu’il provient d’un manque de trafic d’une page produit, d’une substitution avec un autre produit de la marque ou du concurrent, d’une rupture récurrente.
- Les achats croisés : il est possible d’identifier si des marques ou des produits sont achetés de manières simultanées ou dans un labs de temps assez proche…
- L’affinité d’un profil de consommateurs avec une référence ou une catégorie.
Ce ne sont ici que quelques exemples cités, mais ils montrent la puissance du e-retail media qui s’appuie sur la data fournie par les « encartés » (porteurs de carte de fidélité) au sein de plateformes appelées CMP (customer management platform): environ 14 millions de foyers pour la carte Carrefour (plus de 8 millions adressables pour Carrefour Links). La régie retail media Inifinity Advertising regroupe Intermarché et Casino avec 17 millions de porteurs de cartes, soit 14 millions de clients adressables. Une bonne partie des foyers français (29,2 millions en 2021 d’après l’INSEE) peut donc être touchée rien que par ces 2 sources. Ainsi les category managers peuvent potentiellement avoir accès l’ensemble de ces données et ils peuvent les exploiter pour mieux comprendre les comportements des consommateurs sur une catégorie, un segment voire un produit. Dès lors, il leur est possible de développer des recommandations d’actions omnicanales pour toucher les clients sur l’ensemble du parcours d’achat et de leurs points de contact avec l’enseigne.
3. Troisième avantage du e-retail media: activer le parcours d’achat omnicanal
L’exploitation de ces données en complément de panels, d’études shoppers ou même d’observations en points de vente et online, permet aux category managers de construire un mapping des points de contacts de ces shoppers (regroupés en profils) et d’identifier les étapes et leurs comportements dans l’entonnoir de conversion à l’achat pour une catégorie donnée.
Le retail media permet d’actionner 3 leviers complémentaires:
- Des activations on-site, c’est-à-dire sur les sites des distributeurs (drive, livraison à domicile…)
- Des activations digitales off site qui sont mises en place en dehors des sites des distributeurs (live shopping, couponing…)
- Des activations in-store mises en place en magasins physiques (couponing, affichage, etc…)
Des mécanique complémentaires peuvent être élaborées des objectifs catégoriels (lancement de produit, soutien d’une marque, temps fort évènementiel…). Ces opérations peuvent suivre le parcours shopper dans son relationnel avec une catégorie, un produit ou une marque (du recrutement à la fidélisation). Elles peuvent également se compléter par type de canal (drive, livraison à domicile, hypermarché, supérette…).
Les category managers peuvent ainsi définir un plan d’activation très complet et arbitrer également sur des investissements budgétaires à la frontière entre le commerce et le marketing. Une opération de display on site peut venir compléter une campagne de display de type branding Google Ads ou d’influence sur les réseaux sociaux. Une mécanique de couponing ciblée peut remplacer ou compléter tout ou partie d’une promotion (transactionnelle) avec des remise fidélités ou immédiate en magasin financée par un budget commercial.
Pour conclure, les category managers doivent identifier le maillage complexe des interlocuteurs du e-retail media pour comprendre leur fonctionnement et la manière d’analyser ces leviers d’action. Ils doivent s’approprier les nouvelles mécaniques digitales avec lesquelles ils peuvent parfois être moins familiers (comme le search et le display). Il est aussi nécessaire de s’approprier les indicateurs d’analyse de performance de ces mécaniques (comme le ROAS par exemple, ou return on ad spend, c’est-à-dire le nombre d’euros générés lors de la conversion à l’achat par euro investi dans un achat de mot clés ou dans la mise en place d’un display) pour pouvoir analyser la performance de leurs plans d’actions et arbitrer les investissements budgétaires trade marketing. Un nouveau champ d’actions s’est ouvert avec le e-retail media pour les category managers à condition de s’y intéresser et de s’y former rapidement.
Sources:
Livre Blanc réalisé par Datagram et DriveWin (aujourd’hui Bascule), E-retail media _ enjeux et opportunités, 2021
Retail Media : State of the Industry Report 2022, Dunnhumby Media
Cartographie des principaux acteurs du Retail Media en France, parution Juin 2022 par IAB France et Mobile Marketing Association
Podcast Retail Sessions d’Altavia Aura, Les acteurs du e-commerce nouveaux challengers du Retail Media, Juin 2022
Une réflexion sur « E-retail media: 3 avantages pour le category manager »