D’après une étude européenne réalisée sur 15 pays par l’observatoire Cetelem, 72% des consommateurs tiennent compte dans leurs choix d’enseignes et de marques de grande consommation la dimension du développement durable. Même si d’autres éléments comme l’image prix et la praticité peuvent être la plupart du temps des facteurs de choix prioritaires, la prise en compte du développement durable ne peux plus être balayé d’un revers de manche. Le marketing (avec les moyens de production) s’est engagé dans cette voie qui s’est accélérée en 2020 : plus de lancement de produits bio ou issus de matières recyclées ou recyclables, moins de packaging superflu, la prise en compte de l’éco-conception dans leurs projets… Les enseignes ont également enclenché un certain nombre d’actions souvent « encouragées » par des législations comme la réduction des déchets.
Mais qu’en est-il du category management ? Est-ce que finalement cet enjeu de développement durable ne devrait être qu’un sujet d’offre produit ou d’opération de communication ou de service rendu au client? Est-ce que le développement durable ne viendrait pas remettre en question le fondement même de l’approche catégorielle : identifier des leviers de croissance pour vendre plus, à plus de shopper en plus grande quantité ?
Je pense qu’il est temps que le category management se penche sérieusement sur la manière d’intégrer cette dimension de manière structurelle dans son approche et pas uniquement dans ses recommandations de référencement de produits « plus écologiques ». Un certain nombre d’acteurs ont par leurs initiatives ouverts la voie.
Le développement durable, allié du category management pour une croissance pérenne en grande consommation
L’essence même du category management est l’identification d’insights consommateurs et shoppers à même de générer de la croissance sur les 3 à 5 prochaines années pour une catégorie définie.
Le développement durable a été défini quant à lui en 1987 dans le cadre du rapport Brundland :
Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.
Le développement durable ne recouvre pas uniquement la dimension environnementale. Il s’appuie sur 3 piliers : l’environnement, l’économie et le social.
La plupart des acteurs, distributeurs et fournisseurs ont développé de leur côté leur approche et leur vision du développement durable au travers d’engagements et d’actions. Leurs actions sont à plusieurs niveaux et vont du simple respect de la réglementation (comme les programmes « zéro déchet » vs. la loi anti gaspillage 2020) à l’intégration du développement durable dans la fabrication des produits ou services voire jusqu’à son intégration dans la stratégie globale de l’entreprise. C’est le cas par exemple de la marque C’est Qui Le Patron. Aux trois piliers du développement durable Laure Lavorata ajoute deux prérequis : la paix et la collaboration. Or la collaboration est un élément intrinsèque au fonctionnement du category management entre les distributeurs et les fournisseurs.
Le category management est un processus distributeur-fournisseur de gestion des catégories [de biens de consommations] en tant qu’unité commerciale, qui permet d’améliorer les résultats commerciaux en fournissant une valeur ajoutée au client/consommateur (ECR Europe, 1997).
Fournir une valeur ajoutée au client et au consommateur nécessite aujourd’hui d’intégrer pleinement la dimension de développement durable qui est devenu une véritable attente, voire même un critère de choix de consommation. Le développement durable ne remet pas en cause la finalité du category management, il apporte une approche plus « durable » et s’inscrit finalement pleinement dans cette logique de collaboration de long terme entre les distributeurs et les marques. Cette collaboration ne s’inscrit plus uniquement dans une croissance commune « profitable » mais surtout dans une « croissance durable ». Le développement durable ne doit pas être identifié comme un simple levier de croissance en tant que tel mais comme étant un pré-requis dans le déploiement de tout levier d’action. De même, cantonner la prise en compte du développement durable dans la fabrication des produits ou la stratégie de communication est finalement limitant. Dès lors, comment intégrer le développement durable dans la démarche catégorielle. Certains acteurs ont initié des pistes intéressantes qu’il semble nécessaire de pousser plus loin. Le digital peut être également un outil d’aide dans l’accélération de projets collaboratifs catégoriels intégrant cette dimension de développement durable.
Comment intégrer le développement durable dans les leviers d’action catégoriels
Construire des assortiments proposant des offres durables aux consommateurs
Certaines marques ont réalisé un travail d’amélioration de leurs formules. D’autres ont avancé dans l’éco-conception ou la réduction de leurs emballages, dans l’approvisionnement plus local ou la rémunération plus juste de leurs producteurs. Une quantité importante de labels, de claims, de qualités produits… Sont apparus en rayon rendant la lecture de l’offre plus complexe pour le consommateur. Quelle différence entre un produit FSC ou PEFC ? Vaut-il mieux un produit bio qui a voyagé par avion ou un produit non bio produit localement ? Des produits non bios ont été améliorés en parallèle du développement de nouvelles gammes ou même de lancement de marques écologiques. Un grand nombre de données vient donc enrichir celles plus classiques de la performance du produit, de sa rentabilité, de la couverture du besoin consommateur…. Grâce aux outils d’aide à la décision il est donc possible d’intégrer, de traiter l’ensemble de ces datas pour développer un indicateur de développement durable qui viendrait pondérer les autres indicateurs de performances du produit comme ses ventes ou sa marge. Ainsi les assortiments pourraient être ajustés et prendre mieux en compte ces dimensions tout en les pondérant les unes par rapport aux autres. Les plateformes d’intelligence augmentée peuvent dès lors intégrer ces dimensions pour identifier les assortiments équilibrés ou déséquilibrés, qui intègrent les dimensions du développement durable dans l’offre proposée aux shoppers.
Dans les méandres des labels, normes et autres caractéristiques produits, le pure player Amazon a développé son indicateur pour mettre en valeur les produits plus eco-responsables auprès des consommateurs et leur faciliter ainsi le repérage des offres produits : l’Amazon « Climate pledge friendly ». Cette mention regroupe un certain nombre de certifications ainsi que le label défini par Amazon dans son travail d’optimisation des packagings. L’Amazon climate pledge friendly est devenu un outil d’aide au choix au même titre que les avis clients ou les étoiles.
Le sujet du vrac est également intégré à certaines réflexions entre industriels et fournisseurs sous l’impulsion de tiers comme l’Institut du Commerce via ses ateliers réalisés en 2019 autour d’un parcours d’achat éco-responsable. Ces ateliers ont notamment abouti à des tests réalisés entre la start-up Jean Bouteille et des points de vente Carrefour: par exemple, la mise ne place ponctuel d’un comptoir de Bière avec un contenant réutilisable et consignable au Carrefour d’Athis Mons en 2020.
Depuis fin 2020 c’est au tour de l’ILEC de tester dans 4 Franprix avec plus d’une dizaine de marques de grande consommation comme Carte Noire, Panzani ou Carambar, une solution de vrac sur leurs produits habituels (bio et non bios).Cette réflexion autour du vrac permet de se centrer sur l’usage et non plus sur le produit en lui-même. Pour trouver une solution servicielle viable et attractive pour le client elle nécessite une véritable collaboration entre distributeurs, marques et startup fournisseurs de solutions.
Quelles sont les catégories concernées ? Au-delà des problématiques techniques se pose également la question de la pertinence du vrac sur certains produits. Quel assortiment définir, identique ou complémentaire à celui du rayon des produits emballés ? Quelle politique prix aborder ?Une nécessaire mutualisation des efforts pour développer un business modèle viable et pertinent doit être co-construit.
Le sujet de la gestion des ILV et PLV doit également être fait en concertation entre les distributeurs, les marques et les prestataires
Dans son étude sur la fin de vie des PLV, l’association POPAI du marketing du point de vente estimait à 100 000 tonnes de PLV produites par an en France soit 6% du carton et 11% du plastique, bois et métal du volume total en grande distribution. L’association des professionnels du marketing du point de vente a initié depuis 2009 une réflexion et une démarche afin d’optimiser l’usage des PLV pour réduire leur impact environnemental. Accompagné par l’ADEME, l’organisme a mis en place ECO POPAI qui certifie une démarche d’éco-conception des fabricants de PLV à partir de la certification ISO 14001. La problématique du stockage et du réemploi des PLV/ILV est un enjeu pour les marques et les distributeurs : est-il possible d’attribuer un emplacement de stockage au sein des réserves de certains hypermarchés ? Les PLV réutilisables sont-elles rentables ? La récupération et le retraitement de certaines PLV ainsi que des éléments de mobiliers sont également possible à envisager mais ils nécessitent du temps et d’autres moyens (transport, solution de recyclage ou de traitement) de la part des fournisseurs. L’analyse du cycle de vie d’une PLV vient donc compléter le retour sur investissement lié à la valorisation des gammes mises en lumières par un totem, une arche, une affiche, un stocker de sol…
La promotion, une opportunité de dialogue entre les marques et les consommateurs sur leur démarche responsable
Certaines marques ont pris l’opportunité de mise en avant pour engager un dialogue avec leurs consommateurs et non pas uniquement communiquer sur le prix ou la qualité supérieur de leur produit. C’est le cas de la marque C’est Qui le Patron qui a organisé des campagnes d’animations en 2020 en points de vente avec des producteurs, instaurant un dialogue ouvert et direct avec le consommateur en magasin. Ce dernier a pu mieux appréhender l’origine du produit tout comme la décomposition du prix de vente en faveur d’une meilleure rémunération des producteurs de lait.
Entrer en contact avec ses consommateurs pour engager un échange sur la filière de production, la décomposition du prix ou les usages plus durables des produits est une opportunité de jouer la promotion de manière plus durable.
Ainsi le live streaming shopping permettrait de faciliter ces types d’échanges entre marques de grande consommation, distributeurs et clients sur des sujets autres que le prix ou le fonctionnement et les bénéfices directs d’un produit. L’échange est perçu plus largement autour d’attentes et de questionnements sur l’usage de la catégorie ainsi que ses impacts.
L’objectif de ce type d’évènement promotionnel est d’aller au-delà de la communication unilatérale des marques ou des distributeurs qui affichent leurs engagements ou communiquent sur leurs actions en faveur de leurs fournisseurs ou d’associations au risque de passer pour du « green washing ». En acceptant l’échange avec le consommateur, les marques adressent des sujets plus large que l’usage ponctuel de la catégorie, ils la replacent dans l’environnement global de consommation et ils acceptent les questions et les attentes de leurs clients.
Ainsi, un parcours d’achat éco-responsable vient diminuer les externalités négatives d’un parcours d’achat classique, de la prise de décision jusqu’à l’acte d’achat. Proposer un certain nombre d’initiatives au shopper pour qu’il puisse prendre plus facilement en compte les actions menées par les distributeurs et les marques doit devenir une partie intégrante du fonctionnement du category management. Ces initiatives seront plus viables, plus pertinentes et plus efficaces si les distributeurs et les marques collaborent autour de ces projets en vue d’apporter de la valeur ajoutée (durable) pour le shopper.
Sources:
L’éco-conception des PLV, Popai, 2018
PLV écologique : une urgence environnementale, Cassandra Girard, Industriel.net, mai 2020
Conso 2020 – Le temps du consommateur activiste, Observatoire Cetelem
Chaire Retail 4.0 ESCP et Bearing Point, webinaire « Eco-responsabilité et retail, un mariage de raison? », 3 février 2021
Rapport des meilleures pratiques du category management, ECR Europe 1997
2 réflexions sur « Il est temps d’intégrer structurellement le développement durable dans la pratique du category management »