David Pruvot, professeur de marketing et distribution à l’IUT d’Amiens parle de la promotion comme une véritable drogue pour les enseignes et les marques de grande consommation. Ce levier d’action du category management englobe les moyens de développement ponctuel des rotations d’un produit, d’un segment ou d’une catégorie. Là où l’assortiment et le merchandising ont une dimension de mise en place « permanente » dans le point de vente, la notion de « temporaire » est majeure pour le levier de la promotion. Or, les enseignes et les marques y ont recours de façon systématique et répétitives. Elles en sont devenues dépendantes pour garantir des flux de volumes et pour venir en relai du levier prix. Considérer la promotion uniquement comme un levier tactique d’attractivité ou de perception prix est réducteur et limite son impact. Cet outil du category management peut être une source de croissance à long terme pour une catégorie et son exploitation se voit enrichie grâce au digital. En effet, le numérique peut lui permettre d’améliorer son efficacité grâce à trois enjeux : améliorer la précision de ciblage, enrichir la notion même de promotion pour ne pas uniquement se focaliser sur le prix et décloisonner les points de contacts avec le consommateur pour mieux le convertir quelque soit son parcours d’achat.
La digitalisation de la promotion permet une meilleure qualification des cibles, des mécaniques et des moments opportuns
La digitalisation des prospectus par des solutions comme celles de Bonial ou Armis permet un ciblage que la diffusion non adressée des prospectus imprimés ne permet pas. Via des plateformes de solution qui utilisent l’intelligence artificielle, ces entreprises offrent la possibilité de numériser les prospectus, de proposer des campagnes media et d’achat programmatique de displays adaptés. Via la géolocalisation et le choix des magasins par le consommateur, les distributeurs ont la possibilité d’adresser de manière précise leurs offres. Le retour sur investissement de la digitalisation d’une promotion peut aller de 1 à 4, (estimation des promotions digitalisées de Monoprix par Armis). Cette technique vient pour l’instant, pour la majorité des enseignes, en complément du support papier et permet de revoir toute la stratégie de mix media.
De même, grâce aux habitudes de navigation des visiteurs et à leurs données comportementales sur les sites des distributeurs et les réseaux sociaux comme l’écosystème de Facebook, les enseignes peuvent également affiner leur ciblage promotionnel digitalisé.
Par exemple, pendant les opérations beautés, il est possible de cibler assez facilement les personnes par leurs centres d’intérêts sur la beauté, la minceur, le bio… Il est également possible de le faire via des profils dits de « lookalike », ou audiences similaires : à partir des profils des clients, détenteurs de carte de fidélité ou visiteurs des sites d’une enseigne, il est possible d’identifier des profils assez proches pour leur pousser digitalement des promotions adaptées. Ainsi pour une même catégorie de produit il est possible de pousser différents produits ou différentes mécaniques promotionnelles spécifiquement adaptées à la cible. Ce ciblage permet une meilleure conversion de la promotion mais également une meilleure rentabilité : pourquoi pousser une offre de 30% de remise si 20% de remise ou un lot virtuel peuvent suffir à convertir à l’achat.
C’est le principe du promo matching que certaines start-up proposent à des marques ou des enseignes. Par exemple en 2018 le lessivier Unilever a mis en place pendant 6 semaines sur les site de drive d’Intermarché des promotions ciblées et personnalisées sur les marques d’entretien Cif et Skip. Ainsi, en fonction du profil du client, son éligibilité à la promotion, la mécanique, le montant de la remise et la durée de l’offre promotionnelle variaient. La plateforme de management de la promotion de Lucky Cart, partenaire d’Unilever lors de cette promotion, utilise le machine learning pour moduler la promotion en fonction du profil du shopper et des objectifs de la marque par type de profil (recruter, fidéliser et rentabiliser l’investissement). Le ciblage permet une meilleure efficacité mais également une meilleure rentabilité de l’opération promotionnelle: pourquoi récompenser un acheteur qui aurait de toute façon acheté le produit ? est-il nécessaire d’avoir le même taux de gratuité pour un nouvel acheteur que pour un acheteur fidèle à un produit concurrent par exemple ?
La digitalisation de la promotion est un levier d’efficacité en termes de « drive to store » et de rentabilisation. Elle peut aller encore plus loin grâce à l’exploitation des attentes consommateurs en contenu.
Sortir de la logique prix de la promotion grâce au digital
L’essence même de la promotion est la mise en lumière d’un produit à un instant T pour le faire sortir du lot de l’assortiment permanent afin d’en accélérer les ventes. La mécanique la plus simple est celle de la baisse temporaire de prix qui est source d’attractivité. Mais en grande consommation, les enseignes sortent des prospectus tous les 10 ou 15 jours avec en parallèle des « feuilles de chou » régionales ou locales, des offres complémentaires non tractées porteuses de remise de prix. A cela s’ajoutent les offres effectuées directement par les marques via des bons de réduction ou offres de remboursement. Les consommateurs sont bien sûrs attentifs à leur pouvoir d’achat et la modulation de prix est une action utilisées pour les inciter à acheter. Son efficacité est affaiblie par sa profusion, sa surenchère et sa répétition.
Même sur des produits de consommation courante les consommateurs sont attentifs et sensibles à certains sujets comme l’environnement, la qualité du produit, la facilité d’usage, des idées créatives. Par exemple, si un consommateur est attentif au prix des pâtes, en fonction de son profil, il sera également sensible à leur origine de fabrication, à la façon de les cuisiner, à des idées recettes et à des produits complémentaires.
Certaines marques ont déjà développé en points de vente des animations commerciales pour échanger avec le consommateur de façon moins transactionnelle et plus relationnelle. Ainsi, la marque C’est Qui Le Patron organise des animations avec son réseau de producteurs pour aller au contact des clients et expliquer sa démarche.
Si ce type d’opérations peut s’avérer complexe pendant les périodes de fort trafic en magasins, elle peut être facilement déployée en digital.
Le live streaming shopping, ou live commerce, est une opportunité de sortir de cette logique prix pour la grande consommation. L’évènement permet de mettre en valeur une catégorie de produits, une marque ou un univers spécifique autour d’une thématique souvent liée à une démonstration produit. En Chine, le live streaming shopping permet de vendre tout type de produit, du luxe aux cosmétiques en passant par l’alimentaire et l’hygiène. La mise en lumière des produits ou services peut se faire sur un angle différent du prix puisqu’un spécialiste ou un influenceur commentent l’usage du produit peuvent aussi parler de certaines thématiques complémentaires et interagissent avec des consommateurs potentiels qui peuvent poser des questions.
Lors du live commerce œnologie organisé par Carrefour lors de sa foire au vins de printemps les questions des auditeurs portaient sur les comparaisons de qualités entre plusieurs vins, les plats qui pouvaient être accompagnés par les produits… Cet évènement a rassemblé au mois d’avril 2021 plus de 2000 visiteurs en simultané sur une catégorie de produits où la dégustation et le conseil sont clés comme déclencheurs d’achat, audacieux !
Beaucoup de thématiques peuvent donc être envisagées en fonction des attentes des visiteurs du site de l’événement. Pour ne pas devenir qu’une simple vitrine de produits, le live commerce peut se penser comme une opération relationnelle et pas uniquement transactionnelle (même si bien sûr le but final reste l’achat en direct des produits). Il faut choisir la bonne thématique, l’animateur et ou l’invité qui sont les plus à même de parler du sujet en termes de crédibilité et de communauté. Une fois la cession terminée, le contenu généré peut ensuite venir enrichir les fiches produits des sites de drive ou de livraison à domicile. Du contenu peut également être utilisé sur les réseaux sociaux. Par exemple, Leroy Merlin a organisé une session de live commerce avec les marques de peinture pour carrelage V33 et les rubans de masquage 3M début 2021. Le contenu généré est disponible en replay sur les pages des marques sur le site de Leroy Merlin.
Des startups permettent aux marques et aux distributeurs de mettre en place techniquement ce type d’événements ainsi que tout l’accompagnement pour déployer le projet. Ainsi Leroy Merlin a organisé avec l’aide de la start-up française Caast TV une séance de live streaming shopping sur la marque AEG. Des résultats très encourageants puisque les ventes du produit présenté : des ventes x3 le jour du live sur la gamme de produits et des ventes x2 dans les 15 jours qui ont suivi.
Avec ce type d’opérations promotionnelles, les distributeurs doivent maintenant considérer l’ensemble de leur écosystème pour exploiter tous les points de contacts avec leurs clients.
La digitalisation de la promotion facilite la création de passerelles entre les points de contact dans le parcours d’achat
Actuellement les points de contacts sont reliés de façon assez limitée via la promotion, ou du moins de façon silotée. Le vecteur principal reste le prospectus, qu’il soit papier ou digitalisé. Le canal reste assez unidirectionnel et n’exploite pas l’ensemble des points de contact qu’une enseigne ou une marque ont avec les clients. La promotion provient toujours d’un prospectus (papier et digital) pour inciter à en bénéficier en magasin physique et parfois sur le site drive ou livraison à domicile.
Pour l’instant Carrefour a surtout travaillé l’intermédiation de la diffusion du prospectus en multipliant les voies digitales. Pendant le premier confinement de 2020, l’enseigne a testé la diffusion des prospectus via messagerie WhatsApp et Messenger. Depuis décembre 2020, les prospectus sont également présentés sur la chaine YouTube de l’enseigne avec certaines vidéos dépassant les 3 millions de vues !
Pour le moment ni les prospectus ni même les magasins ne relayent les temps forts digitaux, que ce soient les opérations promotionnelles disponibles uniquement sur les réseaux ou les évènements de live streaming shopping. Etonnant que d’organiser un live streaming pendant LE temps fort de l’année en puériculture sans en informer ses clients ni dans le prospectus papier, ni en magasin, ni sur le site drive ou même le compte Instagram de l’enseigne.
En considérant de manière plus holistique les différents points de contact entre un shopper et un produit, les enseignes peuvent amplifier l’efficacité et la portée de leurs promotions. C’est tout une organisation dans le déploiement des temps forts promotionnels d’une enseigne qu’il faut repenser en partant non pas uniquement du but final (la vente en magasin) mais en intégrant le parcours d’achat ainsi que les points d’accès au shopper pour susciter son intérêt et exploiter les contenus et les interactions générées pour le fond de rayon ou pour des opérations ultérieures. Si cette approche est difficile à déployer pour tous les prospectus, elle peut être sérieusement envisagée pour des temps forts sur certaines catégories afin de devenir plus efficace et de mieux correspondre aux attentes des consommateurs. Cette démarche remet au cœur de la réflexion de la promotion le shopper, ses attentes et son parcours d’achat vis-à-vis d’une catégorie.
Si les distributeurs et les marques de grande consommation se sont beaucoup focalisés sur le premier levier d’efficacité des mécaniques digitales et ont initié l’événementialisation sur quelques promotions plus « expériencielles », il reste encore du chemin à parcourir pour décloisonner les canaux de contact de la promotion.
Sources:
UNIIC (union nationale des industries de l’impression et de la communication), Interview de Thomas Rudelle (Carrefour) – « Il n’y a pas de remise en cause de l’importance du papier »
Les Voix de la Conso, Podcast des Editions Olivier Dauvers, épisode 13, La déflation s’installe durablement
Le Podcast du Retail, épisode 18 interview d’Antoine Leclercq, CEO de Caast TV