Pendant l’été 2019, j’ai eu l’opportunité de lire l’ouvrage Distribution 4.0 d’Adeline Ochs, Olivier Badot et Jean-François Lemoine paru en 2017. Plus qu’un ouvrage pédagogique sur la distribution et ses enjeux à l’aune de l’avènement du digital, ce livre propose également un éclairage sur les perspectives que les enseignes et les marques peuvent envisager pour prendre le virage des évolutions des consommateurs et donc des mutations nécessaires du retail.
Parmi les nombreuses thématiques abordées, deux peuvent être soulignées au regard des tendances actuelles et de leur impact sur le category management.
Le commerce de viscosité se développe aux dépens du commerce de destination dans la distribution
Ce terme de « viscosité » du commerce a été défini en 1997 par le sociologue Gérard Demuth, ancien président de la COFREMCA et repris et détaillé dans l’ouvrage.
Le quotidien des consommateurs est de plus en plus morcelé et compliqué. Ils ne sont plus toujours prêts à prendre leur voiture pour se déplacer dans les hypermarchés en périphéries ou les centres commerciaux pour réaliser certains achats. Cette approche historique du commerce de destination est donc confrontée aujourd’hui à la propension ou non du client à faire un effort, à sortir de sa zone de confort pour effectuer un achat. Ce « taux d’effort » entraîne des arbitrages de modes d’achat que les consommateurs réalisent en fonction de leur type de consommation, de leur situation et du temps qu’ils veulent ou peuvent y accorder sur Internet, en magasin de proximité, en hypermarché ou en drive… Cette culture de l’arbitrage est évidemment rendue plus facile avec le mobile.
Le commerce doit donc « coller » de plus en plus aux lieux où sont les gens, là où il y a les flux et la proximité et il doit s’adapter au contexte pour optimiser ce taux d’effort des consommateurs et développer le trafic.
Ainsi, Leroy Merlin L’Appart’ installé en plein cœur du quartier des Batignolles dans Paris est un concept spécifique, adapté à son ancrage local et ne ressemble pas du tout à un magasin Leroy Merlin classique souvent en périphérie des grandes villes. Peu de produits exposés, orienté en mode projets et services (appartements reconstitués, partenariats avec des plateformes de mise en relation avec des bricoleurs, livreurs, monteurs…), ce « magasin » accompagne les nouveaux habitants du quartier dans leur projet de vie ultra urbain.
Mais alors, qu’est-ce qui fait que le consommateur va faire l’effort de sortir pour se rendre dans les hypermarchés ou les centres commerciaux ? L’expérience d’achat est toujours au cœur de cet enjeu.
L’évolution de l’expérience de consommation et des attentes des consommateurs dans la distribution
La « shopping experience » a été théorisée en 1982 par Holbrook et Hirschman : l’achat et la consommation deviennent des vecteurs d’émotion et de sensations pour faire oublier le prix et augmenter le trafic et la transformation en achat.
L’enseigne fait rentrer le consommateur dans une expérience forte en émotions qui permet de créer une rupture dans l’acte d’achat, conférant ainsi à la consommation un caractère hédoniste et non plus uniquement mercantile. C’est ce concept de magasin hautement projectif qui a été exploité dès les années 90 par des enseignes comme Nature & Découverte, Lush, Du Bruit dans La Cuisine…
Si jusque dans les années 2010 ce marketing expérientiel plaçait le client comme spectateur qui subissait de façon consentie une perte de repères, aujourd’hui ces positionnements d’enseignes expérientielles deviennent plus difficiles à exploiter de la même manière et doivent évoluer pour 3 raisons identifiées dans La Distribution 4.0 :
1. Les attentes et désirs des consommateurs sont de plus en plus variables et volatiles du fait de ces tendances éphémères issues des réseaux sociaux.
2. Les consommateurs ne veulent plus « subir » une expérience qui leur serait donnée en l’état, ils veulent y prendre part.
3. La cross-canalité s’est imposée dans les parcours d’achat avec Internet et le mobile.
Les enseignes doivent donc repenser l’expérience d’achat, remettre le consommateur au centre, le faire participer à une expérience « authentique ».
C’est tout le travail effectué par Nature & Découverte présenté par son DG adjoint lors du Hubday Retail de janvier 2020.
Un vrai travail de sélection de l’offre a été engagé pour ne pas submerger le consommateur (et les vendeurs) : donner le bon choix de produits et laisser un espace suffisant pour des zones immersives afin que le consommateur puisse toucher, tester, gouter les produits, ce qu’il ne peut pas faire sur Internet. D’importants investissements ont également été mis sur la formation des vendeurs (deuxième« point de contact » après les produits) pour qu’ils puissent partager leur expertise et leur expérience sur l’offre produit disponible et non plus seulement énumérer l’entièreté d’un catalogue pléthorique.
Pour les magasins ou hypermarchés, il s’agit de mieux s’adapter au parcours client en fonction de ses usages, des catégories et univers produit pour valoriser l’expérience d’achat.
Le « phygital », s’il est bien exploité peut être un levier d’efficacité de cette expérience pour la GMS.
Le digital au service de l’efficacité de l’expérience client en magasin
Terme créé en 2013 par l’agence australienne Momentum, le phygital (contraction de digital et [magasin] physique) consiste à l’utilisation de composantes digitales dans les points de ventes physiques.
L’offre technologique en point de vente doit être source de valeur et améliorer l’expérience d’achat du consommateur en levant certains freins à l’achat qui peuvent rapidement devenir des irritants. Les écrans digitaux, réalités virtuelles, réalités augmentées et autres technologies doivent répondre impérativement à de vrais besoins ou problématiques dans l’acte d’achat en point de vente physique pour ne pas dériver vers leur gadgétisation.
C’est d’ailleurs ce qui a été observé lors du NRF de 2020 : moins de dispositifs digitaux en magasin (écran, robots) et une concentration des investissements technologiques sur la chaine logistique et l’efficacité du passage en caisse.
La première attente du shopper quant au digital en point de vente est à 46% de lui faire gagner du temps (Baromètre Smart Retail Samsung LSA 2019).
C’est également auprès du « vendeur 4.0 » que le digital en magasin peut être une vraie source d’amélioration de son efficacité en lui dégageant du temps (grâce à une gestion des stocks et des commandes optimisées), ou en lui permettant d’accéder à une offre produits omnicanale enrichie. C’est par exemple ce que l’enseigne de jouet Maxi Toys a déployé avec Improveeze pour faciliter l’accessibilité et la vente de produits « hors stocks » par les vendeurs.
Ainsi, La Distribution 4.0 présente un grand nombre de mutations en cours de la distribution que les fournisseurs et retailers doivent intégrer dans leur fonctionnement pour repenser leur organisation. Ces changements laissent néanmoins un avenir plein d’opportunités à saisir pour l’ensemble des commerçants.
Sources documentaires complémentaires
A lire avant La Distribution 4.0 pour avoir un premier état des lieux des enjeux de la distribution :
Le retail face aux nouveaux modes de consommation, S’adapter ou disparaître, E. Larranaga et L. Soulard, Dunod 2018
Retail isn’t not Dead. It’s changing, Kiran Smith, article paru sur le site Retail Customer Experience, avril 2019
Expérience Magasin : quel sens lui donnera-t-on pour les 5 années à venir?, Thibault Deschamps, article paru sur le site du HubInstitute janvier 2020.
2 réflexions sur « Comprendre le retail avec La Distribution 4.0 »